Alte Scheibenwaffen - histoire et armes du tir "schützen"

Bonjour, ayant plus ou moins introduit le sujet je vais en dire un peu plus, et vous donner de quoi l'approfondir par ailleurs. Suite à mon achat fortuit à Drouot d'un carabine allemande signée Carl Gebert à Munich, dont j'ai récemment découvert qu'il était armurier, ou arquebusier, du prince Louis II de Bavière, je suis entré dans le monde du shuetzen, ou shutzen, ou schützen shooting. Pour en savoir plus, j'ai acheté les deux premiers tomes de "Alte Scheinbenwaffen" un ouvrage en trois tomes, en anglais, qui raconte l'histoire de ce sport. Alte scheibenwaffen En résumé:
- Au 12ème siècle environ, dans une région qui n'était pas encore l'Allemagne, les guerres et brigandages ont donné naissance à des milices villageoises, armées d'arcs ou d'arbalètes. Ces milices participaient à des fêtes et concours de tir, les premiers "schützenfest". Au fil des siècles la pratique s'est poursuivie, avec l'introduction des armes à feu. L'histoire de Guillaume Tell est un exemple des premiers temps de ces milices villageoises. Le tir s'effectuait sur des cibles de différentes tailles, dont parfois un oiseau de bois. Une pratique également connue en France sous le nom de tir au papegai, le perroquet.
- Vers les années 1870, après un abandon graduel de la pratique, elle renaît peut être partiellement à cause de la guerre de 1870 et de l'accent dans les deux camps sur l'éducation au tir. Les "shutzenfest" deviennent d'énormes évènements populaires, accueillant des centaines de tireurs de tous les cantons et états, et même hors d'Allemagne. Les disciplines se structurent, avec deux distances essentielles, 175 m sur une cible circulaire, 300 m sur une cible oblongue verticale. Les deux calibres de choix sont au début le 9,5X47R, puis dans les années 1890 le 8,15X46R. Alors que sous l'impulsion des immigrants allemands un sport similaire se développe aux USA, on remarque que les deux calibres allemands sont proches du 38-55 et 32-40, calibres shutzen favoris des américains.
- Les armes sont fabriquées de façon semi industrielles, on estime leur nombre total à plus de 140000. Des canons et pièces essentielles fabriqués notamment à Suhl sont assemblé localement.Les systèmes les plus répandus sont sur base Martini, avec différentes variantes, et Aydt, dépositaire d'un brevet en 1884, fabriqué par Haenel sous licence. On estime que plus de 60 000 armes sont sur base Aydt officielle ou copiée après 1910 quand le brevet est passé dans le domaine publique. 
A l'heure actuelle le tir shutzen renaît aux USA avec le sponsoring du gros brasseur Coors. Il existe encore en Allemagne,s ans avoir l'importance d'autrefois. Beaucoup d'armes de la "haute époque" entre 1880 et 1930 ont été confisquées, cachées ou détruites à la fin de la seconde guerre mondiale. Certaines sont rentrées aux USA, voire en France, avec les soldats vainqueurs. Ce sont en général des armes d'excellente qualité, détente à stetcher, plaque de couche à crochet, dioptre et guidon dérivable. Le rechargement du 9,5X47R est relativement aisé, à base de douilles 45-70 reformée, les ogives sont proches du 41 Long Colt, encore que ce soit variable selon les armes. Pour le 8,15X46R facile, douilles 30-30 Win reformées et raccourcies, ogives .321 en général, 32-40 Win par exemple. On trouve des armes sur Naturabuy de temps à autre, ou sur Eguns.de. Prix variable selon l'état et la finition, de 500 à >4000 euros. 
Mes trois shutzen:
Carabine système Martini en 9,5X47R signée Carl Gebert Hofbüchsenmacher arquebusier de son Altesse Royale le prince Louis de Bavière, vers 1885
 .Carl Gebert by patbig, on Flickr" />
Système Aydt signée Carl Eisleben à Hamm calibre 8,15X46R date ? vers 1895
ce-cote-gauche-web by patbig, on Flickr" />

La version US, Winchester 1885 calibre 32-40 configuration shutzen
vuegauche_640 by patbig, on Flickr" />

et pousse tous flans!

Très belle liste de mariage ou plutôt très beau trousseau

Il faut que je retrouve ma paire de gants beurre frais et je viens faire ma demande

...et c'est là que les Suisses arrivèrent pour mettre le souk !!!!! et que les ricains sortirent leur bretelle ( tricheurs ).....

Il va falloir que nous fassions un challenge Schützen.

Là aussi , dès que nous aurons pris nos comprimés, il va nous falloir un exposé par bestiole avec des détails ultra coquins.

Formidable sujet, comme je les adore 

Je sens qu'on va bien s'entendre 

là, je suis sûr qu'il va y avoir à faire niveau détails coquins François  

La Aydt en particulier, vu que ce n'est pas le système qu'on voit le plus souvent de près dans notre beau pays...

et une 1885...   en 32-40 en configuration schuetzen

Ce sont trois véritables bijoux que tu nous présentes là !
Bravo et merci pour ce partage...féérique

Bon choix, j'ai découvert la Aydt il y a deux mois en l'achetant sur NB non fonctionnelle. Après ouverture du paquet et de l'arme, ressort du chien cassé à ras, gâchette aux abonnés absents, dioptre et guidon idem, queue de détente du stetcher cassée. Mon premier gros boulot d'armurier amateur, j'ai fabriqué le ressort, la gâchette et son ressort, le guidon, et une nouvelle queue de détente brasée en place. Un bonheur au tir malgré ses 5,7 kg. Le système est superbe de simplicité, tout se démonte en deux minutes sans outil! Alors que le Martini c'est plutôt chiant, surtout au remontage, et la Win 85 pas trop facile non plus. 

freebird a écrit:là, je suis sûr qu'il va y avoir à faire niveau détails coquins François  

La Aydt en particulier, vu que ce n'est pas le système qu'on voit le plus souvent de près dans notre beau pays...

et une 1885...   en 32-40 en configuration schuetzen

Bonjour à tous,
J’avais fait un super texte à propos de la carabine présentée hier par je ne sais plus qui car tout a disparu pendant que je faisait des photos de ma schützen et je ne sais pas du tout comment y revenir...
Après ce préambule, je me suis raccordé à ce post superbe et remarquablement rédigé.
Bravo pour ces armes splendides et pas  courantes en France.
Je vais me borner à présenter des photos de mon arme, système Martini.



Suite...

Bon voici la suite car je ne suis pas parvenu à raccorder. Décidément, ce soir , ça ne va pas fort côté technique !









Voilà. Je crois que c’est bon...


En vrac : la crosse était brisée. Elle a été réparée mais on voit toujours un peu quelque chose. Et puis, il vaut mieux rentrer une telle arme avec la crosse cassée plutôt que de faire la fine gueule en attendant la suivante car on risque d’attendre longtemps.
J’ai fait un gros plan arrière de ce que tout le monde croit être un dioptre. Ce n’est pas un dioptre mais une aide à la visée. C’est indispensable après 40 ans et ça permet d’avoir une acuité augmentée sur le guidon (élément essentiel de la visée) et sur le cran de mire. La taille du trou ne laisse aucun doute là-dessus. Le miracle est d’avoir cette pièce qui était en général retirée de l’arme car fragile et coûteuse à refaire. Traditionnellement, elle était rangée à part et le soldat de la 1° Armée Française qui l’a rapportée en souvenir y a songé. Loué soit-il !
Vous aurez noté également le trou à l’arrière de la boîte de culasse pour faciliter le passage de la baguette de nettoyage.
La crosse est un monument élevé à la gloire du noyer. Je peux vous affirmer qu’elle pèse un sacré poids et il faut lui ajouter la plaque de couche à crochet en acier massif. Lestée ainsi, l’arme ne bouge pas et l’équilibre est excellent.
Pour les gravures, je vous laisse admirer cette pièce de maîtrise. L’Éros sous le pontet est potelé à souhait, à la mode de cette époque. Le niellage au tonnerre n’est pas mal non plus...
La visée est aussi un grand moment avec des vis comme s’il en pleuvait. Le guidon ne compte pas moins de trois queues d’aronde...
Les cannelures du canon donnent une ligne superbe, élancée à l’ensemble. J’ai fait une baguette : chance car c’est plus simple à refaire que l’aide à la visée !
Dernier détail mais que j’ai réservé pour la fin car je sais aussi être dur avec les copains : je ne la vends pas 

Cette arme est tout simplement extraordinaire, merci !
St Michel et Guillaume Tell ne sont pas mal non plus.....

Superbe! Est ce que tu as le nom du fabricant? Eventuellement les marquages sous le canon. Je peux chercher dans les bouquins. L'absence de marquages d'épreuve donne une date approximative vu qu'ils sont devenus obligatoires en 1891. Sur les miennes à divers degrés j'ai de la rouille qui apparaît sous le canon au contact du bois. Quoique que je fasse ça veut revenir, je m'en méfie.
Le calibre sur les plus anciennes est une variante du 9,5X47R, post 1890 environ c'est plus le 8,15X46R. Je commence à les connaître, si cela intéresse je peux faire un post sur le rechargement pour les deux. A l'heure actuelle j'ai 10 armes de ce type. Du 22 au 10X45 en passant par le 8 Lebel. Je compte dedans la Win 1885 et la Marlin Ballard Union Hill qui sont des cousines américaines.

Outre les tirs classiques et les rencontres amicales, ces armes (et d’autres) participaient au tir de noce, traditionnel dans les pays germanophones du Sud : Bavière, Suisse, Tyrol... et peut-être ailleurs.
Une cible ronde d’une trentaine de centimètres environ était peinte avec soin représentant un paysage romantique à souhait du genre la demoiselle assise près de la cascade avec son soupirant à côté, sur fond forestier avec cerf, la montagne en arrière-plan. Ou similaire, bien sûr. Le jour de la noce, l’heureux époux tirait trois coups dedans (je parle de la cible, bande de mal-pensants) et l’adresse au tir de l’époux était exposée à vie et en bonne place dans la maison. Évidemment, si la belle représentée sur la cible avait pris une balle ça faisait jaser : il était plus prudent d’organiser le tir avant les réjouissances... 
Tradition bien sympathique !

P.S. Dans un registre différent, l’artiste Nicki de Saint-Phalle achevait ses tableaux en y tirant quelques coups de .22LR avec sa Browning trombone.

Bonjour Patbig,
O.K. Je vais la ressortir pour détailler le dessous du canon. Celle-ci est en 9,5X47 (ou équivalent).

Cible authentique. Selon le bouquin le vainqueur gardait la cible. La distance semblait tourner autour de 200 m, debout sans appui. Repose paume interdit. Les symboles sont là: l'oiseau, le Cupidon et son arc, le griffon, la vierge et les roses.Diamètre 53 cm.

Un déterrage comme on les aime !

Sublime carabine 

Merci, Patbig, pour cette belle cible !
Pour la distance de tir, se souvenir que le Deutsche meisterschaft se pratiquait à 100, 175 et 300 mètres. Peut-être que 200, c’est trop simple... mais je pense qu’il doit y avoir une raison à ce choix. Mais je l’ignore !

Voici les marquages observés sous le canon. J’ai lu 93, et comme ce numéro est également sur la boîte de culasse, je pense qu’il s’agit d’un numéro de série (?). Puis un K majuscule stylisé. Enfin ce que je pense être des frappes de burin formant vaguement les lettres AL mais évoquant davantage des marques d’ouvrier sans signification précise pour celui qui ne les a pas faites ! Je n’ai pas vu d’autres marquages sur l’arme.
Enfin j’ai matérialisé par une mèche de 7mm un trou de ce diamètre, d’environ 12mm de profondeur et sous cet angle, foré sous la joue de crosse. Je n’ai pas d’explication pour la présence de ce trou.

Suite à mon P.S. voici une photo de Niki de Saint-Phalle avec sa Browning trombone tirant sur une de ses œuvres : 

Les marquages sont pré 1891, comme sur ma Gebert, qui est par ailleurs très proche de ta carabine. Je n'ai pas la hausse sur queue d'aronde en haut du canon. Le marquage de Carl Gebert est exactement sous l'endroit où se serait situé ladite hausse, qui l'aurait dissimulé.

Merci de ces précisions PatBig. Ta carabine est très belle, bravo !
J’ai eu deux autres Schützen, les deux en 8,15. L’une était marquée AH sur système Aydt, l’autre, je ne me souviens pas. Les deux n’avaient pas l’aide à la visée. J’ai conservé celle présentée car c’était vraiment la plus belle et elle est complète.
Sur la tienne, serait-il possible que le marquage soit celui de l’armurier vendeur ? Ça se faisait beaucoup à cette époque. J’ai vu un poinçon de lettres entrelacées surmonté d’une couronne comtale sous ton canon. Quid ? Enfin, sois tranquille, la mienne, c’est pareil : quand j’enlève le bois de devant, je suis toujours surpris par la corrosion, faible mais présente.
Je me demande combien de membres de TCAR ont des Schützen... Autant que toi et avec ta documentation, c’est sûr, aucun !

On peut trouver les dioptres Aydt complets chez un spécialiste allemand, pièces neuves à l'identique. C'est ce que j'ai mis sur ma Aydt, ça correspond exactement. Environ 400 euros il y a quatre ans. Carl Gebert qui a signé ma carabine était maître armurier, en charge de la guilde des armuriers de Munich jusqu'en 1910, et arquebusier de Louis II de Bavière. Sur toutes les shutzen allemandes que j'ai la signature est celle de l'armurier fabricant, pas d'un revendeur. Sur les suisses c'est plutôt le revendeur. Je mets des photos de ma carabine Lauger en 8,15X46R. Le dioptre a un oculaire amovible, qui donne accès à une fente de visée verticale avec un volet pivotant pour occulter ver le haut. C'est pour le tir spécifique sur cible rectangulaires verticales à 300 m. L'appuie joue est de type tyrolien, pas pratique avec un casque de tir standard, il faut des bouchons d'oreille.

Merci, PatBig, de ces précisions. La subtilité du marquage variant selon le pays m’était inconnue ! Trop souvent,  l’armurier vendeur passe pour être le fabricant... L’appuie-joue si caractéristique de l’arme présentée me fait dire que la Schützen AH en 8,15 que j’avais était tyrolienne. 
Ce marquage AH est à l’origine d’un gag incroyable : lorsque j’ai rentré cette arme, beaucoup de copains étaient à l’armurerie. Je démonte le garde-main pour regarder les marquages et voyant ces initiales (pour la 1° fois, donc), je m’esclaffe : AH, bon sang, la carabine d’Adolf Hitler ! 
C’était complètement idiot, je le confesse, mais cette mauvaise blague de potache a eu un effet hallucinant sur les copains présents ! Tous voulaient avoir en main l’arme du dictateur et les commentaires allaient bon train. Naturellement, il n’y avait que moi pour avoir une chance pareille, j’allais la revendre trop cher pour qu’ils puissent avoir cette pièce historique etc.
Ça m’a pris du temps pour couper les pattes au canard boiteux. Selon la formule, plus c’est gros, mieux ça passe ; mais à ce point, je n’aurais jamais cru !