Lunette Arisaka Type 99 "sniper"

Il y a quelques mois, je postais un article à propos de la lunette réglementaire équipant les fusils de précision japonais Arisaka Type 97 :
https://www.tircollection.com/t42815-lunette-pour-fusil-arisaka-type-97

Aujourd'hui, je fais suite à cet article en vous présentant une des variantes de lunettes ayant équipé les fusils de précision Arisaka Type 99.

Mais tout d'abord, un peu d'histoire...


Introduction :

Le fusil de précision Type 97, adopté en 1937, est la version "sniper" du fusil Type 38 (chambré en 6,5x50 mm).
Comme vous le savez peut-être, avant la seconde guerre mondiale le Japon souhaitait remplacer les fusils et carabines Type 38 par une arme similaire utilisant la cartouche de 7,7x58 mm. Cela conduisit à l'adoption en 1939 du fusil Type 99 dans ses deux versions : "longue" et "courte".

Notez que les Japonais utilisaient l’appellation Fusil Type 99 pour désigner le T99 "long" et Fusil court Type 99 pour le T99 "court", alors que nous autres collectionneurs, utilisons généralement le sobre et standard Type 99 pour désigner la version courte (à nos yeux, c'est la version standard), et ajoutons l'indication "long" pour la variante longue.
Cela s'explique par le fait que le Type 99 "long" est de longueur identique à son prédécesseur, le fusil Type 38. Il faisait donc office de version standard. A l'inverse, le Type 99 "court" était à l'origine le remplaçant de la carabine Type 38, il était d'ailleurs bien plus court durant les premières phases de tests, dont les mauvais résultats convaincront rapidement les ingénieurs à le rallonger un peu !

Logiquement, le Japon désira adapter les Type 99 (long et court) en version « sniper » et procéda à des tests en 1941.
Furent tout d'abord utilisées des lunettes 2,5x10° pour fusil Type 97, dont les réticules d'origine furent remplacés par des nouveaux, adaptés à la trajectoire de la nouvelle munition. Dans un second temps furent testés deux prototypes de lunettes à grossissement 4x. Ces lunettes sont dépourvues du moindre dispositif de réglage : ni dérive, ni élévation.

Ces tests permirent les deux constats suivants :
- Les lunettes à grossissement 4x, qui donnèrent de très bons résultats, permettent de pleinement tirer profit des propriétés balistiques de la nouvelle munition.
- Le Type 99 "long" ne s’avéra pas significativement plus précis que la version "courte".

L'option d'équiper les T99 d'une lunette à grossissement 4x fut retenue, et le projet "sniper" se concentra alors uniquement sur la version courte du Type 99. D'ailleurs et parallèlement à cela, même la version infanterie (pas sniper) du Type 99 "long" fut abandonnée, sa production cessa en 1941 avant même d'avoir atteint les 40.000 exemplaires.


Arisaka Type 99 "sniper" :

Le temps de développer la version finale de la lunette à grossissement 4x et d'en démarrer la production de masse, le Japon continua de produire des lunettes 2,5x10° identiques à celles utilisées sur les fusils Type 97, mais destinées cette fois au fusil Type 99. Cela dans le but de rapidement fournir aux troupes des snipers en calibre 7,7x58 mm.

C'est l'Arsenal de Kokura qui se chargea de la fabrication de ces premiers Type 99 "sniper" équipés de la lunette 2,5x10°. On estime que la production démarra en juin ou juillet 1942 et qu'elle s'acheva un an après, au cours de l'été 1943. Elle totalisa environ 1.000 exemplaires, juste de quoi faire la transition entre le Type 97 en 6,5x50 mm et le Type 99 à lunette 4x.

C'est à l'Arsenal de Nagoya que fut confiée la production du Type 99 "sniper" dans sa version finale, c'est à dire équipé de la lunette 4x7°. La production démarra certainement au début de l'année 1943 et cessa courant 1944, dans l'usine de Toriimatsu (note : les fusils Type 97 de chez Nagoya étaient produits à l'usine de Chigusa). Le volume total est d'environ 10.000 pièces, soit 10 fois supérieur à celui produit par l'Arsenal de Kokura.
Au cours de la production, Nagoya réceptionna le reliquat de lunettes 2,5x10° en provenance de l'Arsenal de Kokura après que ce-dernier ait cessé de produire le T99 sniper. Cela représentait près de 4.500 lunettes, alors pour ne pas (trop) gaspiller, Nagoya piocha dans ce stock inutilisé pour équiper entre 2.200 et 2.300 fusils. C'est la raison pour laquelle on trouve des Type 99 sniper de production Nagoya équipés de lunettes 2,5x10°. Ces fusils sont surnommés "cut-back" en référence à la découpe effectuée sur l'embase (initialement prévue pour accueillir une lunette 4x7°) afin de l'adapter au montage plus court de la lunette 2,5x10°. La quasi totalité des Type 99 "cut-back" se situent dans la plage de numéros de série 5000-7200, mais on trouve quelques petits groupes en dehors, notamment dans les tranches 18xx et 28xx.

Si la version initiale de la lunette 4x7° est dite "fixe", elle fut ensuite remplacée par une version "ajustable". La plupart des fusils compris dans les intervalles de numéros de série 4600-5000 et 9900-10000 sont équipés de la version ajustable, que l'on peut toutefois trouver en dehors de ces intervalles mais dans une moindre mesure. Notez que d'un point de vue mécanique, les deux versions de la lunettes 4x7° s'adaptent sur la même embase : un Type 99 avec embase pour lunette 4x peut accueillir l'une ou l'autre variante.


Lunettes pour Type 99 (variantes et production) :

La production des lunettes pour Type 99 fut supervisée par l'Arsenal de Tokyo (Tokyo Dai-ichi Rikugun Zohei-sho).
On compte 7 fabricants différents, incluant l'Arsenal de Tokyo et 6 sociétés privées.

Ci-dessous, la liste des fabricants pour chaque variante de la lunette.
Pour plus d'informations concernant ces fabricants ainsi qu'un aperçu de leurs logos, je vous invite à vous rendre sur l'article concernant les lunettes pour fusil Type 97, dont le lien est indiqué au début de ce message.

Lunette 2,5x10° :
- Nihon Typewriter K.K. ; Kogaku-bu
- Tomioka Kogaku Kikai Seisaku-sho
- Tokyo Shibaura Denki K.K.

Lunette 4x7° fixe :
- Tokyo Dai-ichi Rikugun Zohei-sho
- Tokyo Shibaura Denki K.K.
- Enomoto Kogaku Seiki Seisaku-sho K.K.
- Fuji Shashin Koki K.K.
- Takachiho Seisaku-sho K.K.
- Nihon Typewriter K.K.

Lunette 4x7° ajustable :
- Nihon Typewriter K.K.
- Tokyo Shibaura Denki K.K.

La numérotation des lunettes pour Type 99 s'est faite sur une seule série, commune et partagée par tous les fabricants et tous les modèles de lunettes (2,5x, 4x et 4x ajustable). Tout comme c'était le cas pour les lunettes de Type 97, chaque fabricant s'est vu attribuer la production d'un ou plusieurs blocs de numéros de série (de plusieurs centaines ou milliers de pièces).

Les numéros de série recensés nous permettent d'estimer les productions suivantes pour chacun des 3 modèles de lunettes :
- Lunettes 2,5x10° (numérotées de 1 à 5500) : 5.500 exemplaires.
- Lunettes 4x7° fixes (numérotées de 5501 à 13500) : 8.000 exemplaires, peut-être moins car on observe un curieux "vide" de plus de 900 pièces dans la plage des numéros recensés.
- Lunettes 4x7° ajustables (numérotées de 13501 à 18500) : 5.000 exemplaires maximum, le plus haut numéro observé se trouvant dans la tranche 183xx, et il y a un vide de presque 2.000 pièces entre les 2 "blocs" de fabrication connus. Il est plus prudent de considérer un volume de 3.500 exemplaires.

Ainsi, malgré le plus haut numéro recensé, il est probable qu'il n'y ait pas eu plus de 17.000 lunettes pour Type 99 (ce qui la rend plus rare que celle pour Type 97, produite à 32.500 exemplaires). C'est malgré tout un volume largement suffisant compte tenu que le Type 99 n'a été produit qu'à 11.000 unités dans sa version "sniper". Beaucoup de ces lunettes n'ont jamais reçu d'affectation.

Pour rappel, voici la répartition des fusils produits :
- Kokura : 1.000 exemplaires (lunette 2,5x10°), production 1942-43
- Nagoya : 10.000 exemplaires (~2.250 lunettes 2,5x10° et ~7.750 lunettes 4x7°), prod. 1943-44

Voilà pour la partie histoire, venons-en à la présentation d'un exemplaire...


Photos :

L'exemplaire que je vous présente est une version 2,5x10°. C'est un clone de la lunette équipant les fusils Type 97.
Elle se différencie de son prédécesseur par son réticule dont l'étalonnage reflète la trajectoire de la munition de 7,7x58 mm. Afin de prévenir toute confusion, le nombre "99" apparaît à gauche du numéro de série de la lunette, constituant un rappel évident à l'identité de son arme de destination.

C'est l'une des toutes premières lunettes pour Type 99 fabriquées. Elle est produite par Tomioka Optical Machinery Manufacturing Co. (富岡光学機械製作所) et porte le numéro de série 2023. C'est à ce jour le plus faible numéro recensé pour ce fabricant, qui n'a produit qu'un seul "bloc" de lunettes (1.500 pièces numérotées de 2001 à 3500);

Autre signe de précocité, elle a été affectée à un des premiers Type 99 "sniper" : le fusil numéro 57 de fabrication Kokura.

Elle est en état correct. La peinture noire est partiellement écaillée mais le métal en-dessous ne présente pas d’oxydation.
Il subsiste les racines du pare-soleil en caoutchouc, sous sa bague de fixation.
Hélas, l'arrêtoir de la position "fermée" du levier de verrouillage s'est fait la malle, mais ça ne remet pas en cause son fonctionnement.












Les marquages sur l'optique indiquent le grossissement de la lunette (2,5x) ainsi que son champ de vision (10°).
On observe également le logo du fabricant "Tomioka", société privée localisée au sud de Tokyo.
Le numéro de série de la lunette est précédé du nombre "99" permettant de la différencier de ses grandes sœurs pour Type 97.
Il est difficile de le percevoir sur la photo, mais l'optique porte le poinçon d'inspection de l'Arsenal de Tokyo, centré sous le numéro de série. Il prend la forme du kanji 東, pour 東京 (Tokyo).




La photo suivante présente le levier de verrouillage, offrant à la lunette 2 positions :
- Ouverte (libérée), à gauche, marquée par le kanji 脱 (pour 脱着, "retiré")
- Fermée (verrouillée), à droite, kanji 装 (pour 装着, "installé")

Le creux blanchâtre est l'espace normalement occupé par l’un des 2 arrêtoirs du levier de verrouillage, qui s'est offert une retraite ailleurs.

On observe le numéro de série du fusil auquel cette lunette était affectée : 57.
Il s'agit d'un fusil produit par l'Arsenal de Kokura, qui marquait les lunettes pour Type 99 de la même manière que celles pour Type 97 : numéro au-dessus du levier en utilisant des caractères de 3 mm de hauteur. C'était différent chez Nagoya, qui pour les Type 99, plaçait les numéros de série des fusils sur la face interne de la lunette, sur la pièce centrale du montage.




La face interne de la lunette présentant la partie mâle du montage et ses poinçons.
Une lunette affectée à un Type 99 de chez Nagoya aurait reçu le numéro de série du fusil sur la plaque centrale.




Le réticule est sensiblement proche de celui des lunettes Type 97. Il est gradué de 100 à 1500 mètres.
Notez que l'axe vertical ne présente pas la légère déviation caractéristique du réticule de la lunette pour Type 97.




Ci-dessous, quelques photos présentant la lunette pour Type 99 aux côtés de sa fausse jumelle pour Type 97. Il y a une différence dans la qualité de finition entre ces deux exemplaires, dont celle pour Type 99, moins soignée, présente des traces d'usinage particulièrement visibles autour du levier de verrouillage.














La lunette s'accompagne de sa boite de transport en toile enduite rigide (variation 2) munie de sa sangle. La plupart des boites n'ont pas été équipées du ceinturon, mais sur celle-ci, le passant élargi indique que ce fut le cas.
Le pinceau de nettoyage, rarement présent, a hélas été scalpé, il n'en reste que le manche (rangé dans son logement). Il porte lui aussi la marque d'inspection de l'Arsenal de Tokyo (appliquée à l'encre).




Le seul symbole essentiel à la datation formelle de cette boite de transport est hélas difficilement identifiable (c'est celui du milieu).
Mais il est probable qu'il s'agisse d'un 七 (chiffre 7 en japonais), attribuant à cette boite de transport l'année 1942 (Showa 17), une date de fabrication cohérente pour cet ensemble.
Le marquage complet serait alors : 東 △ 七 十 昭




D'autres marquages, appliqués à la main, sont présents sur cette boite.
Il y en a même un au sommet du rabat, très atténué, hélas illisible.

Génial, merci à toi

Là c'est du lourd !

Merci Laurent pour ce superbe article, parfaitement détaillé et illustré.
Je me suis régalé à le lire et à regarder les photos.

Tout juste superbe, merci à toi pour ce partage....

Je sais pas comment vous faites pour dégoter de telles choses, mais c'est toujours un plaisir d'apprendre et de découvrir.

Le coté moins sympa, c'est que à force de lire des articles sur les Arisaka, ça finit par donner envie...

:chinese:

Razorback a écrit:Je sais pas comment vous faites pour dégoter de telles choses, mais c'est toujours un plaisir d'apprendre et de découvrir.

Le coté moins sympa, c'est que à force de lire des articles sur les Arisaka, ça finit par donner envie...

:chinese:

Et je crains d'avoir déjà mis le doigt dans l'engrenage.

Merci pour vos commentaires !
En ce qui me concerne, j'ai les deux mains dedans (l'engrenage). 

Prochaine étape : une T99 4x7° !

Badabom a écrit:Merci pour vos commentaires !
En ce qui me concerne, j'ai les deux mains dedans (l'engrenage). 

Prochaine étape : une T99 4x7° !

trés trés bon sujet
pour info saches que l'armée allemande a adopté ce type de réticule sur leur zf39 en fin de conflit en45 essais prototype
là par contre c'est un autre sujet
merçi pour le lecture
cdlt

quel plaisir de lire des articles si documentés. On reconnait dans des sujets comme celui-là la passion de l'auteur 

Badabom a écrit: Ces lunettes sont dépourvues du moindre dispositif de réglage : ni dérive, ni élévation.

 Bonjour,

Tout d'abord quel superbe article! Le japonais à quelque chose de fascinant...

Mais quelque chose me questionne: Aucun réglage de la lunette n'était donc alors possible?

le petit gersois a écrit:... quelque chose me questionne: Aucun réglage de la lunette n'était donc alors possible?

Non, règlage "d'usine".


Pour le tir, c'est les graduations qui sont utilisées. Et les tireurs formés à évaluer les distances & à utiliser les graduations en fonction.

Badabom a écrit:...


...

&:

...
https://www.tircollection.com/t42815-lunette-pour-fusil-arisaka-type-97
...

C'est exact.
La lunette était réglée en arsenal en fonction du fusil auquel elle était affectée... et c'est tout, pas d'ajustage possible (du moins pas sans outils adaptés, ni connaissances préalables) !

En contrepartie de cette absence de dispositifs de réglage, ces lunettes sont faites d'un seul bloc (en général, les lunettes "concurrentes" sont en 2 parties : longue-vue + montage) de très bonne solidité. Ainsi, à l'usage, ça ne bouge pas ! De plus, cela permet d'optimiser l'étanchéité et l'herméticité de la lunette, caractéristiques essentielles pour une utilisation durable dans les rudes conditions climatiques des théâtres d'opérations qu'elles ont connu.

Donc point de possibilité d'ajuster sa lunette "sur le terrain"... Mais elle est dotée d'une durabilité qui lui permet en théorie de survivre sans se dérégler, tant qu'elle reste sur son fusil d'affectation.

En ce qui concerne la variante "ajustable" de la lunette 4x7°, elle est constituée de 2 parties : longue-vue (constituée d'un solide tube épais et hermétique) et montage qui vient partiellement "emprisonner" le tube. Mais là encore le dispositif de réglage n'influe pas sur l'objectif ni sur aucune lentille. Le réglage se fait au moyen de 3 vis placées autour de la partie "bague" du montage entourant l'extrémité du tube, et permettant de le "désaxer". Ce n'est donc pas à l’intérieur de l'optique que ça bouge, c'est l'optique toute entière qui se déplace.
La photo ci-dessous vous aidera certainement à mieux visualiser (cette lunette n'est pas à moi, et c'est bien dommage) :

Whaou !! Magnifique sujet !!! Quel forum de dingues !!!!